Le mot du commissaire scientifique

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« Mon Cher André, tu vois le beau pays c’est une affaire, quelles richesses industrielles par ici, ce n’est que voies, canaux, usines, mines, c’est prodigieux, je n’ai jamais vu un coin pareil mais que c’est triste ces pays ».

Ruhrkampf, Ruhrbesetzung, Occupation française de la Ruhr (1923-1925), résistance : "keinen Zehnter" (pas un dixième) © Bundesarchiv / Plak 002-012-002 - Archives départementales du Bas-Rhin

Cent ans ont passé et le message de l’anonyme soldat qui a écrit ces lignes depuis la ville charbonnière de Recklinghausen en février 1923, au dos d’une carte sur laquelle il a soigneusement annoté en français « gare principale », à côté de la vue touristique en noir et blanc de « Recklinghausen, Bahnhof », reste une énigme.

Nous aurions tort de croire que les relations franco-allemandes, avec les conflits qui se sont succédés depuis 1870, puis la réconciliation et la construction européenne, ne sont marquées que du sceau de la haine dans un sens, ou de l’amitié dans l’autre. Jusqu’à aujourd’hui, le lien fort entre l’Allemagne et la France est tissé d’ambiguïtés et de contradictions, au même titre que ce message de soldat français stationnant à Recklinghausen : il s’émerveille et en même temps se désole de ce qu’il observe.

Cette rencontre entre Français et Allemands, nourrie d’intérêts communs et de désaccords, se manifeste avec intensité pendant l’occupation de la Ruhr — en allemand Ruhrbesetzung — de 1923 à 1925.

Le gouvernement Poincaré décide d’envoyer dans le bassin de la Ruhr une mission d’ingénieurs encadrée par trois divisions de l’Armée du Rhin. Le Ruhrgebiet, cœur industriel du Reich, qui lui fournit l’essentiel de son acier et de son charbon, n’est situé qu’à 500 kilomètres de Paris. La marche des soldats français et de leurs alliés belges jusqu’à Essen, bastion de la sidérurgie Krupp, permet d’occuper un bassin de 3 000 km2 et de 4 millions d’habitants.

La France, dont les départements du Nord et de l’Est ainsi que l’industrie ont été ravagés par la Première Guerre mondiale, entend prélever dans la Ruhr le charbon, les matériaux et l’argent nécessaires à sa reconstruction et par la même s’acquitter de ses dettes de guerre. La République de Weimar verse les réparations qui lui ont été imposées lors du traité de Versailles de 1919 avec atermoiements. Une partie de l’opinion publique française est convaincue qu’une politique de force est le dernier recours pour faire céder l’adversaire outre-Rhin. Un retard de livraisons en bois et charbon est le prétexte d’une action offensive. Il faut aussi juguler la puissance industrielle et démographique de l’Allemagne, qui pourrait servir une guerre de revanche contre la France, sortie exsangue du conflit.

Les Archives d’Alsace nous invitent à suivre les périples d’une guerre entre la France et l’Allemagne, qui n’en finit pas et se déroule désormais dans un des centres névralgiques de la puissance du Reich. Le parcours s’efforce de démêler l’enchevêtrement des causes qui motivent cette dernière démonstration de force française de l’entre-deux-guerres, montrant deux conceptions différentes de la paix, pour deux sociétés qui aspirent pourtant chacune à en finir avec la Première Guerre mondiale. Les rapports entre les occupants et les habitants tiennent une place centrale, le quotidien de l’occupation étant notamment éclairé par l’exemple d’une cohabitation obligée à Recklinghausen.

Le rôle particulier des Alsaciens et des Lorrains incorporés dans l’Armée du Rhin inscrit la Ruhrbesetzung dans une perspective régionale.

 

Benjamin Volff,
commissaire scientifique