L’émigration alsacienne au XIXème siècle.
Un émigré a quitté son lieu d'origine pour s'installer dans un autre pays.
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- - Trois fiches destinées aux recherches dans le fonds Colmar
Contexte général
Dès le XVIIe siècle, les persécutions religieuses ont mené les Alsaciens protestants à fuir. Poussées également à partir par les catastrophes naturelles et les famines, les populations migrantes se sont réfugiées aux Etats-Unis ou dans les pays de l’Est, notamment en Autriche-Hongrie.
Au XIXe siècle, l’Alsace connaît de nouvelles vagues d’émigration, d’abord vers la Russie, puis vers les Etats-Unis et l’Algérie.
Un premier type d’émigration est lié à la forte poussée démographique et à la pauvreté des populations alsaciennes : l’industrialisation progressive, les règles de partage des terres lors d’héritages et les rendements faibles de l'agriculture poussent les Alsaciens, essentiellement agriculteurs, à rechercher ailleurs un meilleur niveau de vie. Régulièrement, certains jeunes gens partent aussi pour échapper au service militaire, alors que l’armée en guerre est ravagée par les épidémies. Cela touche particulièrement les familles de confession mennonite, pacifistes et opposées à la conscription, qui émigrent afin de pouvoir pratiquer leur religion librement.
De 1804 à 1810, de nombreux Alsaciens suivent un grand mouvement migratoire rhénan vers l’Est, s’installant en Russie tsariste et en Ukraine. Outre Atlantique, le Nouveau Monde, déjà prisé au XVIIIe siècle, devient progressivement la terre d’accueil privilégiée des Alsaciens. Entre 1815 et 1870, environ 45 000 d’entre eux embarquent ainsi pour les Etats-Unis. A partir de 1830, les autorités françaises encouragent la colonisation de l’Algérie, qui devient la seconde destination des populations émigrées d’Alsace.
La défaite de la France en 1871 et le rattachement de l’Alsace à l’Empire prussien par le Traité de Francfort accélèrent les départs de populations et provoquent une émigration d’un autre genre, qui peut être qualifiée « d’émigration patriotique » : les Alsaciens optant pour la nationalité française sont tenus de quitter la région. Si certains partent s’installer dans la France « de l’intérieur », d’autres choisissent l’exil hors d’Europe, toujours vers les Etats-Unis ou l’Algérie. Sous l’influence des autorités françaises, environ 5000 Alsaciens quittent ainsi leurs villages pour s’installer en Afrique du Nord entre 1871 et 1873.
L’émigration vers l’Est
Répondant à l’appel de la Russie pour défricher et coloniser de nouveaux territoires, les Alsaciens du nord suivent au début du XIXe siècle les routes déjà empruntées par de nombreux catholiques pauvres des provinces rhénanes. Dans un premier temps, ils traversent clandestinement le Rhin à Seltz, avant de se rendre à Vienne où l’ambassade russe leur délivre un visa d’admission par la Galicie. Vers 1909, ils obtiennent des passeports pour l’Ukraine délivrés par le consulat russe de Francfort-sur-le-Main, puis traversent la Thuringe, la Saxe et la Silésie. Les populations les plus jeunes avancent peu à peu vers la Sibérie, à la recherche de nouvelles terres.
L’émigration vers les Etats-Unis
L’émigration aux Etats-Unis pendant le XIXe siècle est marquée par plusieurs vagues. Une première vague en 1817 concerne essentiellement des Alsaciens ruraux ou des ouvriers du textile originaires de la région de Colmar. Entre 1828 et 1837, une seconde vague touche les habitants des arrondissements de Wissembourg et de Saverne. Enfin, à partir de 1838, les populations migrantes partent de toute l’Alsace, particulièrement touchée par une crise agricole et une crise industrielle.
L’émigration alsacienne est encouragée par les groupes d’Allemands et de Suisses qui rejoignent Le Havre en transitant par l’Alsace et Paris. L’effet de contagion est d’autant plus important que des représentants officiels des Etats ou des agences de recruteurs privés négocient avec les compagnies de chemins de fer : ils proposent souvent des voyages payés au départ et entièrement organisés jusqu’au Havre. Les convois sont ensuite pris en charge par un armateur pour traverser l’Atlantique. Les immigrants entrent généralement aux Etats-Unis par le port de New-York, plus rarement par la Nouvelle-Orléans, puis se dispersent à l’ouest vers l’intérieur des terres. Les Etats-Unis sont attractifs, car de nombreux avantages pour l’acquisition de terres sont proposés aux populations arrivantes. En outre, l’accueil y est facilité par la proximité culturelle avec des communautés issues d’une immigration antérieure et déjà bien implantées.
L’émigration vers l’Algérie
L’émigration vers l’Algérie commence en 1830 après la conquête française. Si elle séduit les Alsaciens dès les premières heures de la colonisation, elle reste moins organisée et plus hasardeuse que l’émigration aux Etats-Unis et ne devient vraiment importante qu’en 1871, après l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne.
Pour quitter l’Alsace et rejoindre Marseille et Toulon, les deux ports d’embarquement vers l’Algérie, les migrants doivent obtenir des autorisations de passage gratuit et des secours de route délivrés par les préfectures des territoires traversés. Devant les difficultés administratives et le coût du voyage, beaucoup d’entre eux renoncent ou rebroussent chemin. A Toulon, la traversée de la Méditerranée se fait sur des bâtiments d’Etat. A Marseille, les migrants sont hébergés dans des dépôts, avant de s’embarquer sur des bâtiments de lignes régulières. A l’arrivée, l’administration française propose aux colons des terres agricoles en concession dans les régions d’Alger, de Philippeville et d’Oran.
La loi française du 15 mai 1871 améliore les conditions d’accueil et simplifie les voyages des colons alsaciens. Elle institue deux commissions chargées des dossiers des Alsaciens en partance, à Belfort et à Nancy, qui organisent dans le détail l’implantation des migrants en Algérie.
Où trouver des documents concernant l’émigration ?
Les demandes de passeports à l’étranger et les dossiers des préfectures et sous-préfectures des routes d’émigration constituent la principale source de renseignements sur les personnes ayant émigré et les itinéraires qu’elles ont empruntés. Certains migrants ne faisaient qu’une demande de passeport vers l’intérieur, qui leur permettait de gagner les ports d’embarquement à moindre coût. On trouvera les dossiers relatifs à l’émigration, aux demandes de passeports à l’intérieur et de passeports à l’étranger, aux autorisations de passage, aux secours de route et aux contrôles de police dans les fonds de l’administration générale, notamment les archives de la police administrative conservées aux archives départementales en série M. Ces fonds sont, en outre, riches d’enseignement sur la perception et le traitement de l’émigration par les autorités au XIXe siècle. Les communes étaient également amenées à délivrer des passeports à l’intérieur et des secours de route, dont on trouve des traces dans les archives communales. Des informations complémentaires peuvent se trouver dans les fonds du ministère de l’Intérieur conservés aux Archives nationales en série F.
Les Archives départementales et les archives municipales des ports d’embarquement et d’arrivée détiennent aussi parfois des listes de passagers et des informations sur les bateaux qui effectuaient les traversées vers l’Amérique ou l’Algérie. Les Archives départementales de Seine-Maritime, à Rouen, conservent ainsi en sous-série 6 P 6 les rôles des navires français de commerce qui comportent, entre autres, des listes nominatives plus ou moins complètes des émigrants embarqués (https://www.archivesdepartementales76.net/n/marins-passagers-et-bateaux/n:120). Ils ne concernent cependant pas les migrants ayant fait la traversée sur des bâtiments de compagnies étrangères. D’autres informations peuvent être trouvées dans les archives, consultables au Havre, de l’association French Lines (https://www.frenchlines.com/), qui a pour objet la mise en valeur du patrimoine des compagnies maritimes françaises.
Les Archives nationales d’Outre-mer, à Aix-en-Provence (http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/), qui conservent les fonds des administrations locales de l’Algérie française, peuvent apporter des renseignements complémentaires sur l’émigration en Algérie et le sort réservé aux colons à l’arrivée.
Aux Etats-Unis, les archives gouvernementales (The National Archives - General Services Administration - Records of the Bureau of Customs - Washington, D.C. 20408, USA - https://www.archives.gov/) conservent les listes de passagers à l'arrivée dans la plupart des ports américains, établies par les douanes à partir des années 1820. Les archives du Service de l’immigration et de la naturalisation (U.S. citizenship and immigration services) sont progressivement transférées depuis 2009 aux archives nationales, mais il est possible de faire une demande de recherche à partir du site internet du service pour les dossiers d’immigrants qui y sont encore conservés (USCIS Historical Reference Library - 111 Massachusetts Avenue NW First Floor (MS 2180) - Washington DC 20529-2180 - https://www.uscis.gov/ .
Il est également intéressant de consulter les listes des archives de la fondation d’Ellis Island, île par laquelle transitaient, à partir de 1892, tous les immigrants arrivant à New York (The Statue of Liberty/Ellis Island Foundation, Inc. – Attention: History Center – 17 Battery Place #210 – New York, NY 10004-3507 – https://www.statueofliberty.org/discover/passenger-ship-search/ ). Diverses sociétés généalogiques américaines sont par ailleurs en mesure d’apporter des renseignements, certaines d’entre-elles possédant des copies numérisées des listes d’embarquement ou d’arrivée. La plupart sont des organisations locales. Parmi les sociétés non-régionales, on peut citer la Société nationale de généalogie (National Genealogical Society - 3108 Columbia Pike, Suite 300 Arlington, Virginia 2204-4370 USA - http://www.ngsgenealogy.org/; et le Cercle généalogique de l’Utah (Genealogical society of Utah - 50 East North Temple, Salt Lake City, Utah 84150 USA -https://ugagenealogy.org/), l’organisation des mormons qui a photographié tous les registres paroissiaux français.
Sources conservées à Strasbourg (pour le territoire du Bas-Rhin)
>> Se reporter à l’état des sources détaillé, téléchargeable en bas de page
Pour la période de 1800 à 1870, la majorité des sources relatives à l’émigration se trouvent dans les fonds de la police générale et administrative conservés en sous-séries 3 M et 15 M. La recherche dans ces sous-séries s’effectue à partir de l’index et du répertoire numérique de la série M publiés par Louis Martin et de son supplément, le répertoire numérique de la sous-série 15 M, dressé par Louis Martin et François-Jacques Himly.
Des informations sur les secours de route, sur l’émigration et sur l’organisation de la colonisation peuvent également se trouver en série N (administration et comptabilité départementales).
Enfin, la série K (Lois et actes du gouvernement ; arrêtés et correspondances des préfets ; Conseil de préfecture) apporte parfois des renseignements supplémentaires. Elle renferme notamment quelques liasses provenant du bureau des émigrés, institué en l’an VIII pour traiter de la question des émigrés révolutionnaires, avant d’être intégré au bureau des domaines en l’an XIII, à la 3e division en 1811 et à la 2e division en 1814. On se reportera au répertoire numérique rédigé par Catherine Grodecki, sous la direction de François-Jacques Himly.
Pour la période entre 1870 et 1918, on consultera en priorité les fonds de l’administration allemande en Alsace-Lorraine, notamment le fond du Statthalter, classé dans les versements 27 AL et 132 AL, et le fonds de la Division de l’Intérieur, qui comportent 22 versements classés dans les séries contemporaines AL, en particulier l’important versement 87 AL. Le versement 59 AL fait l’objet d’un instrument de recherche spécifique qui répertorie alphabétiquement plus de 14000 demandes d'autorisation de séjour en Alsace-Moselle effectuées auprès du Commissariat général de la Direction de l’Intérieur. Cet instrument de recherche fournit le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance et le lieu de domicile de la personne ayant fait la demande, ainsi que la date de la demande.
Les fonds des sous-préfectures du Bas-Rhin, versés dans les séries contemporaines AL, D et W, contiennent également parfois des documents qui peuvent être complémentaires pour ces deux périodes, car on y trouve par exemple des autorisations de passeports et de laissez-passer délivrés par la police. La recherche s’effectue à partir des index et de l’état des versements des séries contemporaines et des inventaires des fonds des sous-préfectures :
- Sous-préfectures de Sélestat, Erstein, Saverne et Molsheim.
- Sous-préfecture de Wissembourg : versement 414 D.
- Sous-préfecture de Haguenau : versements 383 D et 384 D.
- Sous-préfecture de Strasbourg-campagne : versements 394 D, 395 D et 398 D.
Orientations bibliographiques
- FISCHER Fabienne. Alsaciens et Lorrains en Algérie, histoire d’une migration, 1830-1914. Ed. Jacques Gandini, 1999.
- FOUCHE Nicole. Emigration alsacienne aux Etats-Unis, 1815-1870, Paris, 1992.
- LAYBOURN Norman. L'émigration des Alsaciens et des Lorrains du XVIIIe au XXe siècles : essai d'histoire démographique. Association des Publications près les Universités de Strasbourg, 1986.
- MAIRE Camille. Emigration et dissuasion : Le cas de l'Est de la France sous la restauration, 1986.
- MAIRE Camille. En route pour l’Amérique : l'odyssée des émigrants en France au XIXe siècle. Presses Universitaires de Nancy, 1993
- SCHRADER-MUGGENTHALER Cornelia (dir.), The Alsace Emigration Book, Closson Press, 1989 (vol. I) et 1991 (vol. II).
- SCHRADER-MUGGENTHALER Cornelia (dir.), The Baden Emigration Book, Closson Press, 1992, p. 149 et suiv.
- RJEOUTSKI Vladislav, "De Strasbourg à la Russie : histoire d’une émigration (XVIIIe – début du XIXe siècle)", in Baudin Rodolphe (dir.), L'Alsace et la Russie, Institut d’études slaves, Paris, 2011, pp. 59-77.
- STENGER Danielle. L’émigration alsacienne de 1815 à 1870, Strasbourg, 1984.
- WESNER Doris (dir.), Alsatian Connections, Closson Press, 1995.
- Numéro spécial "Les Alsaciens dans le monde : émigrés, exilés et expatriés du XVe siècle à nos jours", Les Saisons d'Alsace, n° 47, Dernières Nouvelles d'Alsace, fév. 2011.